LES COIFFES ALSACIENNES
Evolution et diversité
Cette brochure vise à présenter de façon très synthétique les différentes coiffes traditionnelles alsaciennes, leur diversité, leurs origines sociales ou cultuelles et leurs spécificités selon les zones géographiques.
D’une obligation de couvrir les cheveux vers un élément de séduction …
Dans les sociétés antiques le statut de la femme mariée est reconnu par le port d’un voile. La femme publique affiche ses cheveux libres. La religion chrétienne avec l’apôtre Paul impose le port du voile comme une obligation de respect devant Dieu « La femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend … ». C’est le signe visible de sa subordination.
Le foulard, issu du voile médiéval porté par les classes populaires, va évoluer en calotte puis en dormeuse avant d’être décliné en une multitude de variantes qui vont évoluer localement et cohabiter au sein des villages.
La protection du cheveu va ainsi se transformer en un élément de séduction.
Les coiffes alsaciennes, par leur diversité et leur richesse, témoignent de la recherche permanente de la beauté et de l’esthétique, de la coquetterie ainsi que la volonté de séduction des alsaciennes.
Le nœud noir, symbole de l’Alsace ?
Quand on évoque la coiffe alsacienne, l’image qui vient immédiatement à l’esprit est celle d’un nœud noir, « La Schlùpfkàpp ». Pourtant, ce ruban savamment agencé et fixé sur un bonnet noir n’a été porté que dans une petite partie de l’Alsace et pendant une période limitée dans le temps.
En réalité, les coiffes alsaciennes sont très variées et témoignent d’un patrimoine riche et diversifié selon les villages et localités. On en dénombre plus de 900 modèles différents …
Le nœud noir, un symbole politique…
Après la défaite de 1870, l’Alsace a été cédée à la Fédération des états allemands. Les intellectuels français ont entretenu l’idée que l’Alsace devait redevenir française, qu’une revanche était à prendre. Ce courant à la fois littéraire et artistique a utilisé le nœud noir comme symbole fort d’une Alsace française. Le dessinateur alsacien Hansi a participé à ce mouvement et a ajouté à ce nœud noir une cocarde tricolore.
En 1945 lors de la Libération, le nœud noir paré de sa cocarde témoigne de l’enthousiasme des alsaciens après la guerre. A Colmar par exemple, patrie de Hansi où cette coiffe n’a jamais été portée, les familles s’empressent d’en fabriquer de manière parfois rudimentaire. En tout cas, les images du général Leclerc traversant les villages pour libérer Strasbourg impriment aussi dans la mémoire collective celles de femmes portant le nœud noir et la cocarde tricolore pour acclamer les libérateurs.
Le nœud, un symbole commercial…
Plus proche de nous, dans les années 2010 le nœud est devenu le symbole d’un marketing alsacien : l’utilisation à des fins commerciales d’une sorte de bretzel en forme de coiffe, a encore renforcé la confusion des genres.
L’image stéréotypée et uniformisée contraste avec la grande variété de coiffes qui témoignent de la richesse des arts et traditions populaires en Alsace.
Une grande diversité de coiffes alsaciennes : 900 coiffes recensées
De Wissembourg à Saint-Louis en passant par l’Alsace bossue, la diversité des coiffes est le reflet d’une société où chaque village, chaque localité, chaque famille raconte sa propre histoire au travers de sa tenue vestimentaire et de son couvre-chef (la religion, l’âge, l’origine sociale ou géographique …).
La Maison du Kochersberg : un devoir de mémoire
Pendant 30 ans, les habitants de Truchtersheim et de bien d’autres localités alsaciennes ont fait don à la Maison du Kochersberg de coiffes reçues en héritage familial.
S’en suivit un long travail de collecte et de conservation qui a été patiemment réalisé par les membres de l’association des amis de la Maison du Kochersberg.
Ainsi, la collection de coiffes alsaciennes de la Maison du Kochersberg est aujourd’hui l’une des plus riches d’Alsace.
A partir de cette collection, cette publication a pour objet de vous inviter à voyager dans le temps et les territoires alsaciens, pour découvrir les évolutions et la diversité des coiffes alsaciennes.
Evolution historique
Celtes, Germains, Romains, Francs et Alamans lèguent à l’Alsace leurs usages vestimentaires. Les croisés introduisent les arts d’Orient qui marquent la mode locale jusqu’au XIVe siècle. A partir de 1365 les mercenaires anglais et français laissent en héritage les bonnets pointus.
Vers le milieu du XVe siècle, la mode importée de la cour de Bourgogne répand l’usage de la coiffe à « hennin » dont la hauteur varie suivant la condition sociale.
Au XVIe siècle, la Réforme instaure pour la femme protestante des habits plus austères et des couleurs plus discrètes.
L’influence française sous Louis XIV
A partir du rattachement d’une partie de l’Alsace au royaume de France sous Louis XIV en 1648, la coiffe subit l’influence de deux modes différentes : la mode française dans la noblesse alsacienne et la mode allemande chez les patriciens de Strasbourg ou à la cour des Hanau-Lichtenberg à Bouxwiller.
Le Spitzehut est un feutre noir en forme de bicorne aux pointes dépassant les épaules. Réservé aux fêtes et porté par les jeunes filles patriciennes de Strasbourg, il est immortalisé en 1 703 par le peintre Nicolas de Largillère dans son célèbre tableau de « La belle strasbourgeoise ».
La coiffe à bec au XVIII° siècle
Dès la seconde moitié du XVIII° siècle, à Saverne ou à Strasbourg, les femmes de l’aristocratie locale et les bourgeoises portent la coiffe à trois becs brodée d’or et d’argent, de Schnepper. Précieuse et raffinée, cette coiffe est caractérisée par une pointe sur le front et deux pointes gracieuses sur les tempes. Elle est réservée à l’élite par les édits somptuaires jusqu’à la Révolution française.
Les édits somptuaires
Ces règlements ont pour objet de contrôler les dépenses des citoyens et plus particulièrement de restreindre les dépenses de luxe.
Institués par les grecs, les romains et par Philippe IV en France en 1294, ces édits sont complétés par la suite pour réprimer l’extravagance des costumes et surtout pour maintenir un ordre social.
Un nouvel édit très détaillé est promulgué en 1628. Il a été révisé en 1660, 1678, 1685 et 1708. Il spécifie quels tissus doivent être portés et par quelle catégorie de la population. Il interdit le port de broderies, dentelles, ornements en or ou argent, et de velours pour les paysans.
Les coiffes à bec confisquées pendant la Révolution française
Le 26 octobre 1793, le comité révolutionnaire de Strasbourg demande aux femmes de « donner en offrande » à la République leurs bonnets et coiffes. Les représentants de la Constitution déclarent un mois plus tard aux strasbourgeoises que « les citoyennes de Strasbourg sont invitées à quitter les modes allemandes puisque leur cœur est français… ».
Les femmes de condition plus modeste se confectionnent des bonnets en tissus dorés ou argentés resserrés dans la nuque, dont la forme rappelle les bonnets à becs. Les maraîchères et les paysannes font de même avec des tissus de coton fleuri ou en soie brochée.
La Révolution met fin aux édits somptuaires. Elle libère la créativité et les initiatives. De plus, les nouvelles technologies qui accompagnent le XIX° siècle (chemin de fer, dentelles mécaniques…), vont permettre aux femmes d’accéder plus facilement à des étoffes variées et de laisser libre cours à leur imagination.
Après la Révolution française, la coiffe se démocratise
Elle s’adapte aux besoins des villageoises en variant d’un pays à l’autre, de village en village, du Nord au Sud. L’Alsace suit cette démocratisation. La fonction première de se protéger la tête, perçue comme essentielle pour la pudeur, est supplantée par le plaisir de se sentir belle et d’être séduisante. Elle caractérise la condition sociale de la femme, les différents âges de la vie, l’appartenance politique ou religieuse. Elle évolue lentement de manière autonome selon le goût et les possibilités matérielles de chacune.
Les différentes pièces d’une coiffe
La coiffe est une pièce de parure qui épouse la forme de la tête. Elle est composée de plusieurs parties :
• Le fond : c’est la pièce de la coiffe la plus décorée. Rond ou carré, généralement brodé de motifs floraux, il est souvent froncé et sert à ramasser les cheveux, les cacher, les emprisonner. Il doit remplacer visuellement le volume de la chevelure.
• La passe : le fond est rattaché à la passe qui couvre le dessus de la tête. Parfois en avancée plus ou moins prononcée sur le visage, elle l’entoure. Le devant de la passe, partie brodée ou gansée, peut être orné de volants, de ruchés ou de dentelles.
• Les barbes : brides ou rubans se nouent sous le menton, pendent ou sont remontés de chaque côté du visage.
• Parfois un bavolet : il peut descendre vers le cou et allonger la coiffe vers l’arrière.
Avec l’émancipation des femmes, la coiffe va évoluer. Le bandeau (la passe) recule pour libérer la chevelure. Les barbes s’élargissent, le nœud sous le menton glisse sur le côté. Le fond s’amollit et prend volume.
Extrait de « Des femmes et des coiffes » Nelly Duret 2012. Disponible à la Maison du Kochersberg.
Délimitation des aires au sein desquelles les différentes coiffes d’Alsace ont été portées
Carte géographique réalisée par l’ADT67. Illustration :
L’Outre-Forêt
En Outre-Forêt, région située au nord de la forêt de Haguenau, la coiffe est peu influencée par la mode
Le paysage est constitué tantôt de villages groupés sur le haut ou les flancs des coteaux, tantôt dans le fond des vallons au bord d’un ruisseau bordé de vieux saules.
Une partie des villages dépendait de l’abbaye de Wissembourg fondée par les mérovingiens ou de l’évêché de Spire ; les autres villages appartenaient en partie ou en totalité à des seigneurs ayant adhéré à la Réforme.
L’Outre-Forêt située au nord de l’Alsace entre la frontière allemande et la grande forêt de Haguenau. La grande forêt forme une barrière que la mode met un certain temps à franchir. Cette barrière naturelle a freiné le développement du grand nœud dans cette zone.
A Schleithal, ancienne dépendance de l’évêché de Spire, les femmes portent la coiffe de tulle blanc ajouré, brodé de fleurs blanches et empesé.
A Oberroedern et à Seltz ces mêmes bonnets sont teints en bleu soutenu et se portent pour se rendre à l’église. Les femmes âgées mettent à la maison un bonnet en toile claire à petits motifs. Il est rembourré et garni d’un petit nœud plat sur le dessus dont les pans étroits sont ramenés et cousus à l’arrière. Il se prolonge par deux larges rubans de toile se nouant sous le menton. Il est appelé Schnitzhaub.
Parmi les magnifiques villages alsaciens à l’architecture si typique, on peut citer les villages suivants :
Oberseebach
Les jeunes filles protestantes portent une petite calotte de brocart posée sur le sommet de la tête. Elle est entourée de rubans de soie moirée, crantée de rouge orangé et ramenés au-dessus du front en un petit nœud.
Pour le culte du dimanche et pour la confirmation, le nœud orangé est remplacé par un nœud noir.
La jeune catholique affiche une coiffe de tulle blanc.
La coiffe de la femme mariée se compose d’un petit bonnet noir garni à l’arrière d’un petit nœud également noir. Il est à noter que, pour la femme protestante, les rubans ne sont pas noués et encadrent librement le visage tandis que la femme catholique les noue.
Hunspach, Hoffen et Oberseebach
Les femmes mariées protestantes portent un petit bonnet noir à fond plat.
L’Alsace Bossue
En Alsace Bossue, le bonnet est noué
Tournées vers la Lorraine et situées au nord-ouest du département du Bas-Rhin, adossées au versant ouest des Vosges, ces terres formaient une enclave à majorité protestante entourée par les possessions catholiques de la Lorraine.
Seule aire francique d'Alsace, cet espace doit son rattachement à une région alémanique en raison d'une tradition protestante nettement majoritaire. Les sols relèvent du plateau lorrain. Elle regroupe les communes autrefois intégrées aux anciens comtés de Sarrewerden et de la Petite-Pierre et à la seigneurie de Diemeringen - Asswiller.
L'Alsace Bossue est une terre d’élevage avec des coteaux et de nombreux vergers, des forêts ombragées, des rivières poissonneuses.
À l'aube du XXe siècle, l'industrialisation des campagnes s'est caractérisée par l'implantation de manufactures. Les chapeaux de paille de Langenhagen, la corderie Alsacienne Dommel, les couronnes de perles Karcher, les gazogènes Imbert ont été longtemps des fabrications de renommée mondiale.
La coiffe est constituée d’un bonnet à fond froncé ou matelassé qui se noue sous le menton avec deux brides en soie. Elle peut être rayée. Cette coiffe peut être confondue avec celle de Westhoffen et celle de Brumath.
A Westhoffen
A Westhoffen, dans la Couronne d’Or à l’ouest de Strasbourg, de simples bonnets ou des coiffes dorées se côtoient
Westhoffen est une ancienne possession des Hanau-Lichtenberg. Elle est située dans le vignoble et les vergers au pied des Vosges, à proximité de Wasselonne.
A Westhoffen, la coiffe se singularise par un bonnet froncé ou matelassé simple. Il se noue sous le menton avec des brides en soie : de Soïjmàje.
On y trouve aussi quelques très belles coiffes dorées, portées par les femmes de riches viticulteurs.
La région de Brumath, une coiffe sans cesse renouvelée
La région de Brumath se trouve au sud de la grande forêt d’Haguenau à proximité de Strasbourg, au bord de la Zorn et du canal de la Marne au Rhin. Les zones humides alternent avec les terres alluviales propices au maraîchage. La population vit dans des villages déjà occupés à l’époque romaine.
La mode est influencée par la proximité de Strasbourg favorisant ainsi un renouvellement constant de la coiffe. La coiffe à petit nœud frontal y est apparue vers 1830. Elle est portée par les jeunes filles et les femmes mariées. Les jeunes filles posent cette coiffe sur leurs nattes enroulées autour de la tête ou sur leurs cheveux relevés en chignon. Le port de cette coiffe met fin à la tradition d’avant la Révolution qui imposait aux seules demoiselles le devoir de porter leurs nattes tressées dans le dos.
Le bonnet simple qui ressemble à celui de Westhoffen ou de l’Alsace Bossue est porté aussi par les maraîchères.
Le grand nœud est aussi porté dans certains villages.
Le Pays de Hanau et le Kochersberg
Riche terre agricole et véritable berceau du grand nœud alsacien
Cette vaste région est située à l’ouest et au sud de la forêt de Haguenau, jusqu’aux abords de Strasbourg.
Elle comprend deux entités :
- L’ancien comté protestant des Hanau-Lichtenberg composé de dix baillages, avec Bouxwiller pour capitale et une cour seigneuriale apparentée aux grandes familles royales d’Europe. Dès le Moyen-Âge, des minerais sont extraits et donnent naissance à l’industrie chimique et au bleu de Bouxwiller. Il était rajouté à la peinture blanche pour peindre les façades.
- Le Kochersberg, situé entre la Bruche et la Zorn.
Ce secteur riche en lœss appelé l’Ackerland offre des paysages vallonnés de champs ouverts très fertiles alors que les collines sous vosgiennes moins fertiles en direction de Saverne, le Heckeland, sont couvertes de bocage.
Le Kochersberg comportait l’ancien baillage de l’évêque de Strasbourg. Les 28 villages catholiques juxtaposent les possessions de petits seigneurs protestants qui accueillent souvent moyennant un impôt la population juive.
Dans ces villages s’applique la règle selon laquelle « la religion du seigneur est aussi celle de ses sujets». Dans les villages qui appartiennent à plusieurs seigneurs les trois religions peuvent cohabiter.
Ces coiffes présentent des similitudes dans leur aspect et leur évolution, aussi feront-elles l’objet d’un même chapitre.
Cette région est le berceau du grand ruban de soie devenu malgré lui le symbole de l’Alsace.
Dans la plupart des villages la coiffe se compose d’un bonnet généralement brodé et garni d’un ruban de soie en taffetas, noué sur le devant de la tête. Très petit à l’origine, ce nœud est porté de plus en plus grand.
Les jeunes filles protestantes et les femmes mariées, catholiques ou protestantes, portent le grand nœud noir
Le ruban des femmes catholiques est plus long que celui des protestantes ; il descend jusqu’à la ceinture. Ses extrémités sont parfois ornées d’une dentelle noire.
Il est à remarquer que le ruban de la femme protestante s’arrête sous l’épaule.
Le bonnet diffère également selon la religion. En velours de soie brochée ou en laine, bordé d’une chenillette, il est brodé de fils d’or ou d’argent.
Celui de la femme catholique arbore des roses, des épis de blé, des lys et pour le mariage des grappes de raisin.
Alors que le bonnet de la femme protestante ou juive est plus sobre, finement brodé de demi-lunes et de verroteries violettes, vertes ou bleues, assorties aux couleurs de sa jupe.
Les jeunes filles catholiques portent le ruban fleuri ou écossais en soie
Dans les environs de Truchtersheim le pourtour gansé de soie bleue, dorée ou lie de vin est assorti à la couleur dominante du semis de fleurs des champs posé sur un fond blanc ou ivoire.
Le bleu ciel est l’apanage des villages consacrés à la Vierge (par exemple à Truchtersheim ou à Willgottheim). Il est aussi celui des jeunes filles chargées de porter la statue de la Vierge lors des processions. Les rubans écossais sur fond noir ou brun sont fréquents dans les familles de condition plus modeste.
Il est à noter qu’à Geispolsheim les jeunes filles portent en été lors des processions le ruban rouge garance fixé sur un bonnet doré. La légende raconte que c’est en souvenir du curé et du maire exécutés par les révolutionnaires.
Dans le Kochersberg, en hiver, elles se parent d’une coiffe à nœud latéral gauche écossais ou fleuri, monté sur un bonnet en velours orné de broderies d’or, de paillettes et de pierres de couleur.
Le bonnet est en velours matelassé rouge foncé, bleu foncé, violet ou noir, adapté au froid et au vent.
Les dames âgées portent uniquement le bonnet à ruban latéral.
Evolution vers le grand nœud au XIXe siècle
Le petit nœud porté après la Révolution (vers 1830) a évolué pour devenir le« grand » nœud à la fin du XIX°siècle.
Comme exposé précédemment il est dérivé de la dormeuse portée dans la France entière. A ses débuts le ruban est cranté, bordé de franges à ses extrémités.
Selon Marguerite Doerflinger il est noué en un nœud raide appelé le « Saint Esprit ».
Vers 1830, le nœud évolue dans certaines localités : du côté de Brumath et dans le Kochersberg mais aussi dans le Ried entre Colmar ???? jusque dans l’Alsace du Nord. Les jeunes filles et les femmes mariées fixent à leur calotte deux rubans en soie cousus sur la nuque au-dessus de la coulisse permettant de bien ajuster le bonnet à la taille de la tête.
Ces rubans sont croisés et ramenés sur le front en longeant le bord de la coiffe puis noués en un simple nœud gracieux.
Cette calotte à petit nœud frontal que l’on porte dans le secteur de Wissembourg ou de Munster est restée figée dans son évolution .
Après 1840, le nœud n’évolue plus que dans le pays de Hanau et dans le Kochersberg. Il se développe progressivement à la fois en longueur et en largeur, le ruban passant de 11 cm à 23 cm de large en 1860 pour atteindre plus de 30 cm au début de XXe siècle.
En s’élargissant et en s’allongeant le ruban s’alourdit et retombe de chaque côté du visage. Les deux pans glissent vers l’arrière.
Vers 1880 le nœud n’est plus noué mais redressé et façonné en plis « solaires ». Les deux ailes sont dressées de part et d’autre d’une bride en taffetas qui les maintient.
Les deux pans s’allongent dans le dos. La calotte du fond du bonnet est de moins en moins apparente et l’alsacienne décore de broderies ou de paillettes la partie arrière émergeant entre les deux pans.
Vers 1900, le nœud subit probablement l’influence de la mode allemande. L’envergure du nœud peut atteindre 1 m, tout comme son cousin porté en Bavière.
Vallée de la Bruche, Val de Villé et Ban de la Roche
Dans ces vallées vosgiennes les femmes portent des calottes dorées ou noires selon la religion de leur famille
La vallée de la Bruche
La Bruche prend sa source dans les Vosges au pied du Climont et se jette dans l’Ill près de Strasbourg.
La collégiale gothique de Niederhaslach située au bord de la forêt vosgienne draine des flots de pèlerins ruraux et citadins mêlés pour implorer Saint Florent.
Les femmes catholiques originaires de la proche région de Molsheim, Boersch ou Wasselonne mais aussi de beaucoup plus loin portent la coiffe de leur village.
L’une de ces coiffes est constituée de bonnets de style XVIIIe siècle réalisés par les religieuses des couvents de Still ou Ribeauvillé. Ils rappellent les broderies des ornements sacerdotaux.
C’est une calotte de brocart ou de soie brodée de fils d’or, de paillettes dorées, de pierres, de verroteries et bordée d’applications de dentelles d’or.
Elle emboîte bien l’arrière de la tête et se fixe sur une sous-coiffe en lin blanc ou en batiste bordée d’une bande de dentelles fines de type « Valenciennes » tuyautée ou plissée de la largeur d’une main.
Cette auréole de dentelle amidonnée plus étroite sur le front est rabattue en arrière. Sur les côtés, elle encadre légèrement le visage.
Dans le comté du Ban de La Roche
Le siège administratif a d’abord été le château de La Roche et ensuite celui de Rothau. C’est le pays dans lequel le pasteur Oberlin a enseigné et créé des écoles pour l’éducation des filles.
La femme porte une calotte de soie noire, parfois à petits motifs blancs ou dorés. Cette calotte est coulissée à l’arrière, bordée à l’avant d’une large passe en soie noire moirée revenant sur les oreilles et elle recouvre entièrement les cheveux.
Sur le dessus un ruban noir d’environ 4 cm se dresse et entoure la calotte pour ensuite se nouer à l’arrière en un petit nœud plat masquant la coulisse (voir le portrait de Louise Scheppler collaboratrice d’Oberlin).
Au pied du Donon
Plus haut dans la vallée, au pied du Donon, la coiffe d’origine lorraine est blanche, en batiste, linon ou percale avec fond brodé. Elle est nouée sous le menton par deux brides amidonnées.
Un friselis de quatre volants ruchés brodés, amidonnés et tuyautés entoure le visage. Elle remplace une coiffe noire plus ancienne.
Pour le travail la femme porte le chapeau de paille ou la halette (voir le paragraphe sur les vallées vosgiennes).
Le Val de Villé
Situé à 15 km de Sélestat, il est composé de dix-huit villages dont les paysages mènent des contreforts de la plaine d'Alsace vers les sommets de la ligne bleue des Vosges.
La coiffe est constituée d’un bonnet matelassé à brides.
Pour les travaux extérieurs la femme porte aussi la halette ou le chapeau de paille.
Halette
Au sud de Strasbourg, à Obernai et à Erstein
Villes où étaient portées la coiffe dorée et la coiffe dite « soleil »
Le long du Rhin
Cette région plate située entre les collines sous vosgienne et le Rhin est soumise aux caprices du fleuve et à ses débordements.
Une partie de l’économie était tournée vers le Rhin et ses affluents : mariniers, bateliers, pêcheurs, vanniers, tireurs de graviers, chargeurs de sable, orpailleurs, chasseurs et de nombreux maraîchers profitant des riches terres chargées d’alluvions.
Cette population s’est ouverte vers l’extérieur grâce aux voies de communications fluviales et terrestres utilisées de tous temps pour les déplacements nord-sud.
Dès le début du XVIIIe siècle les femmes de condition modeste envient les bonnets à becs métalliques dorés des bourgeoises. Elles copient ces coiffes avec leurs moyens matériels et donnent naissance aux bonnets dorés ou argentés. Certains ont un bord droit ou à peine arrondi sur lequel elles appliquent des dentelles d’or ou d’argent. Ils sont réalisés dans des matières de plus en plus somptueuses ornées de paillettes dorées, de chenillettes et de motifs en relief rappelant les coiffes à trois becs. D’autres en tissus damassés ou en toile de coton s’ornent de verroterie et de cailloux du Rhin. Les plus anciens portés par les riches paysannes du sud de Strasbourg sont de riches calottes assez raides avec un petit nœud en soie damassée ou pailletée dans la nuque au-dessus de la coulisse. Peu à peu elles se portent sur un bonichon de linon se prolongeant sur le bord du visage de fines dentelles froncées, plissées ou tuyautées. Ces bordures de dentelles sont plus ou moins larges selon les localités et se portent de manière différente. Par exemple la coiffe est portée en magnifique soleil à Meistratzheim et à Krautergersheim ou près d’Obernai, alors que le ruché est replié en arrière à Boersch ou à Grendelbruch. A Colmar et Wittelsheim, la coiffe ne dépasse pas 5 cm. Les jardinières de Sélestat et les maraîchères de Colmar l’adoptent également.
Le bonnet d’hiver, d’Wischkàpp, identique à celui de Geispolsheim est porté à Meistratzheim, Krautergersheim et Bischoffsheim parallèlement à la coiffe de fête.
Dans le Grand-Ried
Région caractérisée par la diversité des coiffes
Marckolsheim : au sud de Sélestat, le bonnet est matelassé, à brides en soie ou en velours.
Colmar : ici dès le XVIIIe siècle, les femmes bourgeoises se coiffent d’une calotte de brocart à fond plat auréolée d’une dentelle fine tuyautée ou plissée, parfois montée sur une légère armature de fils de fer.
Dans le vignoble : la coiffe est dorée, auréolée de dentelles plissées les jours de fête, remplacée les jours de semaine et en hiver par le bonnet matelassé à brides nouées.
Pour aller dans les vignes la femme porte la halette ou le chapeau de paille.
A Wolfgantzen ou Andolsheim, pays des maraîchers, la calotte de brocart à bec ornée d’un ruban de couleur se noue au-dessus du front.
Cette coiffe à petit nœud est également portée par les maraîchères de la Robertsau.
Il est à constater que, contrairement à celle du Bas-Rhin, la coiffe du Haut-Rhin n’a pas évolué vers le grand nœud.
Photographier halettes et chapeaux de paille
Quichenotte K 992002
Vallée de Munster
Au XIX° siècle les manufactures s’installent dans les vallées pour bénéficier de l’électricité produite sur place grâce aux rivières. Les techniques de l’époque ne permettent pas de transporter l’électricité.
L’industrialisation des vallées vosgiennes signe l’arrêt du port des coiffes villageoises remplacées par des tenues d’ouvrières.
Metzeral : coiffe à brides à la petite rosette frontale.
Munster : bonnet de velours à fond matelassé, à brides nouées.
La femme peut porter par-dessus un chapeau de paille.
Mulhouse Ensisheim, Wittelsheim, et Sundgau
Dans les vallées de Thann, St Amarin et Guebwiller, au début de la vallée de Masevaux, de la vallée de l’Ill et du Thalbach ainsi que dans les familles aisées du Sundgau, la coiffe est de brocart ou de soie brodée d’or, portée sur une sous-coiffe en lin à laquelle se rattache une dentelle fine tuyautée ou volantée. Page 93.
Dans les terres des Habsbourg
Les bonnets dorés rigides, souvent à bec frontal et auréolés de dentelles ont été introduits par les Habsbourg. Un petit nœud de nuque masque la coulisse.
A Mulhouse
La haute bourgeoisie porte des coiffes de brocart en alternance avec des coiffes blanches en mousseline ou linon ruchés de dentelles du type dormeuse, mises à la mode.
Dans le Sundgau
Les femmes portaient une calotte de brocart ou de soie rebrodée de fils d’or, de chenillettes, de fils de couleur, éventuellement de paillettes, bordée de dentelles d’or, à bec frontal légèrement plus accentué et une calotte plus enveloppante à l’arrière. Elle était maintenue, selon des gravures anciennes du XVIIIe siècle, par un ruban et un nœud de soie sur le dessus de la coiffe, elle-même fixée sur une sous-coiffe. Celle-ci était en linon bordée de « Valenciennes » ou de dentelles fines parfois rebrodées.
Le petit nœud de soie était garni de paillettes et de fil d’or.
Le célèbre peintre alsacien Jean-Jacques Henner, prix de Rome, dessine des bonnets noués sous le menton ou sur le côté gauche par deux rubans de soie claire.
Pour conclure
La chevelure féminine représentait dans l’inconscient un sujet de tentation et par conséquent devait être dissimulée sous un voile, un fichu puis une coiffe. Les femmes ont détourné ce signe extérieur de soumission en un objet de séduction.
Après l’abolition des édits somptuaires elles ont fait preuve d’une imagination créative débordante, mélangeant dentelles manufacturées ou faites main avec des verroteries, des broderies au fils d’or ou d’argent complétées avec de la cannetille.
Après la Révolution la dormeuse se transforme, change de texture.
Les rubans se nouent différemment sur le front, dans la nuque, sous l’oreille ou le menton. La calotte est confectionnée en lin, en soie, en lamé ou en laine en fonction de la saison et selon les moyens financiers de sa propriétaire.
La coiffe devient une véritable carte d’identité, elle renseigne sur la situation matrimoniale, la religion, l’origine géographique et bien évidement la fortune de celle qui la porte.
Au cours de la révolution industrielle les manufactures s’installent sur les rivières des vallées vosgiennes et la paysanne devient ouvrière. Ainsi, les femmes abandonnent la coiffe dès les années 1850 dans le Haut-Rhin pour adopter la mode de Mulhouse. Dans le Bas-Rhin, la coiffe sera portée jusqu’à la 2eme guerre mondiale lors des célébrations religieuses.
Peu à peu les femmes se convertissent au chapeau et gomment les informations livrées par la coiffe. La lutte pour l’égalité rejette les codes vestimentaires.
Les coiffes sont aujourd’hui réservées aux inaugurations, aux fêtes folkloriques et aux groupes de danses traditionnelles.
Elles sont hélas trop souvent remplacées par la Schlupfkàp noire, quelquefois par méconnaissance de la coiffe locale.
Toutes les femmes, en portant la coiffe, était à la recherche de la beauté pour elle-même, mais portait aussi un signe d’appartenance à une communauté en suivant la mode locale.
Quelques définitions
• Le brocart : étoffe de soie rehaussée de dessins brochés d’or et d’argent. On dénombre en France trois principaux centres historiques de fabrication : Lyon, Tours et Saint-Maur.
• Brocher : réaliser un tissage formant des dessins sur l’étoffe.
• La broderie brochée : broderie très fine en soie, camaïeu rebrodé de métal dans le même sens que la soie.
• La calotte : élément en tissu matelassé ou en carton cousu posé directement sur la tête et qui supporte les mousselines, le tulle et les dentelles.
• La cannetille : fil de métal mat ou brillant, d’or ou d’argent, de cuivre tourné en spirale comme un ressort. Utilisé dans la broderie des plastrons et des bonnets.
• Le cordonnet : petit cordon de fil de soie, d’or ou d’argent fabriqué par les passementiers.
• La cotonnade : étoffe de coton pur ou mélangé avec d’autres fibres.
• Le damassé : tissu à la surface duquel on fait apparaître des dessins uniquement par opposition d’armures à effet de chaîne et d’armures à effet de trame.
• La dormeuse : coiffe de tulle fin, paillée et amidonnée, à la mode dans toute la France au XIXe siècle.
• Le friselis : onomatopée évoquant un bruit doux, un murmure.
• La ganse : cordonnet rond ou ruban plat tressé employé pour attacher, orner ou border un vêtement ou un tissu d'ameublement.
• La halette : coiffe avec une passe qui avance largement sur le visage et un bavolet qui couvre la nuque et cache les joues pour les protéger du soleil et garder la peau bien blanche malgré la vie en plein air.
• Le Jacquart : M. Jacquart a inventé le métier à tisser qui permet de réaliser des motifs compliqués. Les tricots faits à la main ou à la machine s’inspirent du tissu jacquard.
• Le linon : sorte de toile de lin, très claire et très fine.
• Le matelassé : aspect d’un tissu pourvu d’un rembourrage (ouatine, laine etc…) et d’une doublure appliqués l’un contre l’autre par une piqûre.
• La percale : tissu de coton très fin de qualité supérieure. Elle est très appréciée pour son toucher lisse, soyeux et doux.
• La résille : filet généralement de petite dimension, utilisé par exemple pour décorer une coiffe tout en la laissant visible.
• Le ruché : couture à plusieurs lignes de piqûres formant un espace froncé. Dérivé du mot ruche (d’abeilles).
• La serge : ensemble des textiles élaborés par un tissage. Il se caractérise par la présence de côtes obliques sur l'endroit et un aspect uni sur l'envers. La serge peut être à effet chaîne ou trame. Le fil de trame passe sous un, puis sur trois autres fils de chaîne en décalant d'un fil à chaque passage, d'où l'effet d'oblique sur l'endroit.
• La toile : tissu de lin, de chanvre ou de coton.
• Le tulle : tissu mince, léger, transparent et vaporeux formé par un réseau de mailles régulières de fins fils de coton, de lin, de soie ou de laine.
• La valenciennes : dentelle au fuseau à dessin floral sur fond de réseau à mailles régulières.
• Le velours pressé ou gaufré : imprimé sur des étoffes au moyen de fers chauds ou de cylindres gravés de dessins.
Bibliographie
• Evidens designatio receptissimarum consuetudinum ornamenta quoedam et insignia continens Magistratui et Academiiae Argentinensi a majoribus relicta. 1606.
• Recueil de costumes. (Trachtenbuch). Editeurs frères Schmuck. Réédité et préfacé par Berger-Levrault.
• Doerflinger Marguerite. J.-P. d’Aigremont. Le livre d’heures des coiffes d’Alsace. Editions Oberlin. 1981
• Doerflinger Marguerite. Découverte des costumes traditionnels en Alsace. Delta 2000, Editions S.A.E.P. Colmar.
• Laugel Anselme, textes. Charles Spindler illustrations. Le grand livre de l’Alsace d’autrefois. Costumes et coutumes d’Alsace. Publication de 1902 rééditée en 2008 par Editions Place Stanislas.
• Duret Nelly, textes. Battaglia Marie-Line conception graphique. Des femmes et des coiffes. Les Amis de la Maison du Kochersberg. En vente au musée La Maison du Kochersberg place du marché Truchtersheim. 2012.
• Site internet de l’ADT. tourisme67.com
• brochure du Conseil Général du Bas-Rhin. Alsacez-vous. Les costumes alsaciens : un enchantement !