Cuisine du début du XXème siècle
Elle est reconstituée avec meubles et ustensiles d’époque :
- une cuisinière à bois polychrome, avec sa réserve d’eau chaude (s’Schéff)
- une ancienne caisse à bière gravée « Aktien Brauerei 21 Diedenhoffen», Brasserie des Actionnaires 21 de Thionville utilisée comme caisse à bûches.
- à gauche de la cuisinière, deux récipients Salz (sel) et Mehl (farine), utilisés au quotidien.
- un vaisselier deux corps polychrome du XIXe siècle, en bois.
- un évier en grès des Vosges avec écoulement se déversant dans le Schlupf, (venelle) entre les maisons. Au début du XXe siècle, l’eau courante n’était pas encore distribuée. Au-dessus de l’évier, un pot de sable, de soude et de savon en émail blanc pour se laver les mains quand elles sont fortement souillées. A gauche de l’évier, une fontaine blanche émaillée avec porte savon recueille l’eau de lavage des mains, vidée ensuite dans l’évier.
- à gauche, le coffre en sapin fabriqué vers 1730, décoré sur l’avant d’un motif en négatif de licornes et d’oies et sur le couvercle d’un bouquet de tulipes peint en positif. Le mécanisme de la serrure est remarquable.
- dans l’angle en hauteur, une bonbonne de Schnaps et un flacon en grès dans lequel on transvasait le schnaps pour le servir.
- une prière est affichée sur le mur de gauche, pour protéger les occupants des maladies, des incendies et du mauvais sort. Le texte est brodé au point de croix.
Visiter un musée ou une exposition, c’est aller à la découverte d’un temps différent du nôtre. Pour rendre cette découverte plus accessible, plus ludique et plus complète, nous avons fait appel à un témoin de ce temps-là… en somme à un hologramme que nos jeunes visiteurs sauront écouter, comprendre et apprécier. Ecoutez bien !
« Je m’appelle Magaretha Kochersland. Dans mon village d’origine, on m’appelait s’Schultze Grethel. Comme toutes les filles, j’ai quitté l’école à l’âge de 13 ans et j’ai participé aux travaux de la ferme, comme un garçon. Je me suis mariée en 1851, j’étais jeune, mais déjà travailleuse. Depuis mon mariage, ici à Drüdersche on m’appelle s’Wàcke Grethel. C’est le mystère des Hoftname qui sont attachés à la ferme et non à la personne.
Je vous présente notre cuisine. En fait, c’est mon domaine. Do bin ich Meischter ! Ici, c’est moi qui commande… ailleurs aussi un peu…
Nous venons de fêter le passage du siècle, nous sommes en 1900. J’ai la chance d’avoir une cuisine bien équipée. Avec mon mari Jean Ackersberg, artisan Schumacher, – lui c’est Wàcke Schàng - , nous avons tout ce dont nous avons besoin. Je me demande ce qui pourrait encore nous manquer !
Notre cuisine est équipée d’un bel évier en grès, et nous possédons notre propre puits, juste à côté, toujours alimenté en eau fraîche et potable. Après avoir lavé la vaisselle, nous récupérons les eaux grasses pour les donner aux cochons. Chez nous rien ne se perd. Le peu d’eau que nous rejetons dans le Wàsserstein s’écoule vers le Schlupf, l’étroit passage entre notre maison et celle du voisin. Chaque jour, je veille à remplir d’eau le Schéff, ce bassin en cuivre, intégré dans le plateau de la cuisinière. Cela nous permet d’avoir de l’eau chaude à volonté ; ceci bien sûr lorsque le feu est allumé dans le Hard, mais il est pratiquement allumé tous les jours de l’année.
Nous brûlons le bois que mon Schàng va chercher une fois par an, sur les hauteurs du Freudeneck, après Wasselonne… derrière une auberge bien connue. La route qui y mène a été rénovée par les Allemands. Avant 1871, les routes étaient souvent dégradées dans le Kochersberg. Le Conseiller Général de l’époque, élu au suffrage universel (mais seulement par les hommes) à raison d’un par canton instauré par la loi du 3 Juillet 1848 sous la IIe République, avait l’habitude de répéter inlassablement : « il ne faut pas se raconter des histoires, il n’y a plus d’argent au département ». Heureusement, les choses ont bien changé depuis. Ces dernières années les routes ont été rénovées et un tramway a même été construit de Strasbourg à Truchtersheim, avec des arrêts à Cronenbourg, puis aux Stations de Dingsheim, de Stutzheim, d’Offenheim, et de Wiwersheim qui avait même deux stations (une à chaque auberge).
Uff’m Hard wurd kocht ! Evidemment, ma grande charge ici, c’est la préparation des repas, selon un rythme immuable.
En été, la journée commence dehors. A 6 h, mon mari et son valet Emile partent dans les champs avec les chevaux pour faucher et ramener du trèfle frais pour nos vaches, rarement pour nos chevaux qui préfèrent le foin. Pendant ce temps, je m’occupe de la traite et de la nourriture des animaux de la basse-cour. Enfin, vers 7 h, c’est le Friehjsteck : un grand bol de café au lait avec du pain trempé dedans… s’ Brot ingebrockt. Parfois mon mari gobe un œuf frais en perçant deux trous dans la coquille.
Le « repas de midi » est fixé à 11 h. D’ailleurs dans mon village d’origine, « l’angélus de midi » sonne à 11 h en souvenir d’une guerre d’autrefois. Les menus ne sont pas très variés : choucroute (souvent), volaille, lapin, pigeonneaux… et repas maigre le vendredi. Le pot au feu avec des légumes en salade est réservé au dimanche.
Vers 5 h du soir, pour reprendre des forces, on prépare le Zoowe-Asse, un repas froid avec lard, Bibeleskaas, et des harengs salés seulement en hiver. La soirée se termine dans l’étable à traire nos vaches, nourrir les animaux et leur étaler une litière de paille fraîche.
Un repas de laitage finit la journée : bol de lait, soupe en hiver, et Griesbab (semoule au lait bien sucrée) pour les enfants.
En semaine, nous mangeons dans la cuisine et le dimanche dans la Stub, juste à côté. Emile, notre valet de ferme, mange dans l’arrière-cuisine, en de Kéchekàmmer ; il tient à sa place et ne voudrait pas manger avec nous. Il a son couvert et sa cruche de vin que mon mari lui prépare. Emile ne descend jamais seul dans la cave. Cette une tradition et une… précaution.
Avez-vous remarqué notre beau Käänschterle ? Ce vaisselier est un héritage de la tante Rosalie ; il est en bois polychrome et date de 1829. Cette technique était répandue dans la région pour décorer les meubles, souvent en sapin. Sur le haut du buffet et hors de portée de nos enfants, nous avons disposé des boîtes renfermant des produits rares et chers, comme le chocolat ou le pain d’épices. Dans l’angle à droite, e Schnàpps-Gutter, la bombonne d’eau-de-vie… du Tràwere (marc) ou du Kirsch (de la cerise). Les Français appellent cela une dame-jeanne, je ne sais pas pourquoi. Mais je sais qu’un Schluck de Schnàpps, c’est mon remède universel : efficace contre les maux de tête, les indigestions, mais aussi utilisé en friction ou en compresse pour de multiples usages.
Tous les ans, je mets en conserve des fruits et des légumes provenant de notre potager et de notre verger. J’ai la chance de disposer dans ma cuisine de nombreux ustensiles et récipients très utiles et pratiques, provenant de Betschdorf ou de Soufflenheim.
Ici ma baratte, s’Blotzfassel, ou Butterfassel, avec laquelle, une fois par semaine, je fais du beurre à partir de la crème délicatement prélevée sur le lait de nos vaches. Elles produisent suffisamment de lait pour notre consommation familiale. Certains jours je peux même en laisser cailler et égoutter pour faire du Bibeleskaas.
Le soir, et surtout en hiver, j’allume notre belle lampe à pétrole pour m’éclairer pendant mes travaux de couture. Mais les enfants et mon mari vont au lit dès la nuit tombée.
Ma sœur célibataire nous a offert une broderie avec le verset : Grüss Gott, tritt ein, bring Glück herein (Salue Dieu, entre ici et apporte-nous le bonheur). Je l’ai fait encadrer pour la fixer au mur, au-dessus du coffre qui appartenait à ma mère, et dans lequel nous rangeons de la vaisselle et des poteries. J’aime bien ce mot de bienvenue, car en Alsace nous avons le sens de l’accueil.
Nos enfants parlent notre dialecte alsacien et apprennent l’allemand à l’école. Ils comprennent mal le français. Moi je l’ai encore appris à l’école avant 1871. Aujourd’hui les inscriptions en allemand sont présentes sur tous les objets quotidiens, comme sur ces boîtes à sel et à farine. Cela nous paraît normal.
L’hiver dernier, j’ai dû m’assoir plus fréquemment en raison de mon âge. Pour ne pas rester inactive, j’ai brodé une alsacienne sur un cache-torchons. Je m’installais dans la Stub en fin d’après-midi à côté de la fenêtre. (Lire dans Kocherschbari n°75). Ces broderies sont très à la mode, presque toutes mes voisines en ont réalisé. Elle représente ici s’Gànzelisel, la belle Alsacienne du Parc de l’Orangerie. Je la préfère à une Dirnel von drüben !
Vous voyez ici mon moule à Kougelopf, modèle très répandu dans le Kochersberg ; mais à côté, je suis fière de présenter un moule à biscuit en forme de poisson. En Alsace, grâce à notre fameuse levure de bière, nous préparons ces gâteaux en pâte levée que nous aimons tant.
Un jour nous avons pris, Schang et moi, le tramway de Truchtersheim à Strasbourg et nous sommes allés au Schwowelàde, le grand magasin de la place Gutenberg. Nous y avons acheté une grande nouveauté : un moulin à café. Le café, nous l’utilisons avec parcimonie car il est très cher. C’est pourquoi, nous le mélangeons à de la chicorée ou du malt torréfié. En été, pour les travaux dans les champs, nous faisons un excellent Kaffeewasser en l’allongeant encore avec de l’eau fraîche… ou avec un Schluck Schnàpps pour les hommes.
C’est aussi lors d’un voyage à Strasbourg que nous avons acheté la belle soupière dans laquelle je sers la soupe du d’s’Noocht-Asse. Quel bonheur de prendre le tramway le matin et de pouvoir rentrer le même jour, en soirée ! Quel confort et quel progrès par rapport au char à bancs que nous utilisions dans le temps. On débarque au Alte Bahnhof et on est tout de suite en ville. Autrefois, pour héberger les chevaux, il fallait chaque fois trouver une écurie dans la cour d’une auberge, généralement dans la Kroneburjer-Stross, la rue du Faubourg de Saverne.
Par mauvais temps et en hiver, je suspends le linge à la cuisine pour qu’il sèche plus vite.
A l’approche de Noël, durant les semaines de l’Avent, c’est le grand branlebas dans la cuisine pour la confection des Bredle. Je prépare au moins une dizaine de sortes différentes : bien sûr des Schwowebredle, des Butterbredle, des Spritzbredle, des Anisbredle… et surtout je suis très fière de réussir mes Springerle. J’ai d’ailleurs un rouleau qui me permet d’en produire rapidement une grande quantité pour toute ma famille.
Et les saisons passent… avec beaucoup de travail tous les jours : la petite lessive les lundis (la grosse lessive c’est deux fois par an), le repassage avec le fer chauffé sur un petit poêle spécifique, le bain des enfants dans une bassine ici à la cuisine et le lavage des chaussures et des bottes des hommes le samedi soir. Le jardinage c’est un peu tous les jours (s’Gartel well mich jede Doej sahn !), la basse-cour également, la cuisson du pain le vendredi, la messe chaque dimanche suivie du repas dominical… nous vivons heureux grâce aux progrès de ces dernières années. »
A l’attention de nos visiteurs aujourd'hui : Notre Wàcke Grethel n’a pas connu l’électricité, arrivée en 1911, ni celle de l’eau courante installée en 1933, encore moins celle de la radio vers 1940, du téléphone et de la télévision dans les années 50. Hélas, le tramway a cessé de circuler en octobre 1953 sous la pression des constructeurs d’autobus ! Grethel ne pouvait pas imaginer tous ces progrès… ni qu’au XXIème siècle nous aurions tous accès à l’ordinateur, au téléphone portable, à l’Internet partout, à la fibre optique… et peut-être même au tramway qui pourrait réapparaître ici, qui sait !